DOLOMITE : ESCALADE A LA TORRE FALZAREGO
C’est le début de l’été et j’ai rendez-vous avec Caroline, aux environs de Vicenza. Caroline est une alpiniste franco-italienne habituée des Dolomites qu’elle fréquente assidûment en toutes saisons. Le lendemain nous voici au Passo Falzarego, non loin de Cortina d’Ampezzo. C’est toujours un grand plaisir de retrouver ces montagnes splendides et comme chaque fois je reste béat devant tant de beauté.
Pas un nuage dans le ciel, mais le temps annoncé est orageux, aussi nous optons pour une petite escalade à la Torre grande di Falzarego, à deux pas de là. Après 30 minutes d’approche paisible, nous voici à pied d’oeuvre. Les vestiges de la Grande Guerre sont encore bien présents en ces lieux. Il y avait ici même, en pleine montagne, un hôpital ! Une pensée émue pour tous ces pauvres diables, italiens et autrichiens, qui se sont allégrement massacrés durant cette sombre période.
Nous optons pour la voie Dibona qui est un itinéraire classique et fréquenté, d’une hauteur de 300 m, en 4 /5 avec un pas de A0. Nous allons grimper en réversible et je débute par un petit dièdre. Comme toujours dans les voies les plus parcourues, il y a quelques pitons en place qui jalonnent de temps à autre l’itinéraire. Dès le départ l’escalade est plaisante et variée, jamais difficile, mais il faut tout de même se concentrer un minimum car les points d’assurage, en place ou rajoutés, ne sont pas si fréquents que cela. C’est d’ailleurs l’une des caractéristiques des Dolomites : au-delà du plaisir félin de l’escalade elle-même, il y a celui, plus réfléchi, du placement des protections et de la recherche de l’itinéraire.
À la troisième longueur Caroline opte pour une variante sur spits qui ne figure pas sur notre topo : une superbe dalle à trous de 40 m en 5+. Du pur sucre. Nous rejoignons ensuite à nouveau la voie classique où nous sommes maintenant suivi par une cordée autrichienne avec laquelle nous ne tardons pas à sympathiser. Nous voici au pied de la fameuse dalle en 5. Fameuse, car paraît-il très belle et exposée. Et nous ne sommes pas déçus ! Une escalade magnifique, soutenue mais jamais très difficile, sur un rocher toujours bien sculpté, avec 3 points en 40 m... Il ne vaut mieux pas tomber.
Le vide se creuse et la paroi se redresse. Une voie moderne sur spits continue tout droit dans ce qui ressemble à du « bon dur ». Mais par où sont donc passés les Dibona et De Stefani en 1934 ? Ce ne peut être qu’à gauche et cela ne paraît pas évident du tout. C’est très raide au-dessus d’un vide impressionnant… Comme souvent dans les Dolos, il faut aller voir, et là miracle, cela ne dépasse pas le 5 et l’escalade est fantastique !
Tout autour de nous le paysage s’est ouvert. En face le massif du Nuvolau, avec les caractéristiques Cinque Torre, et en arrière plan la Croda da Lago et le Pelmo. L’avant dernière longueur remonte une grande écaille, d’une trentaine de mètres de hauteur, impressionnante. Mais les plaisanteries fusent, en italien, en français, en allemand ou encore en anglais et l’atmosphère est vite détendue. Le relais, très aérien, se fait au sommet de l’écaille.
Soudain, un premier coup de tonnerre roule plus à l’ouest, vers les massifs du Sella et de la Marmolada. Fini les plaisanteries et nous accélérons alors que le ciel s’obscurcit de plus en plus. Nous avalons en vitesse la dernière longueur, plus un peu de corde tendue pour déboucher au sommet.
Pas le temps d’admirer le paysage qui s’est bien assombri et d’attendre nos nouveaux amis. L’orage claque sur le Passo pordoi. Nous plongeons dans la descente, d’abord en désescalade (2 et 3) sur une centaine de mètres jusqu’à une brèche, puis par une raide sente entrecoupées de ressauts rocheux. Nous voici à proximité du parking avec les premières gouttes et nous apercevons la cordée autrichienne au sommet. L’orage est tout proche, tonnerres et éclairs s’en donnent à cœur joie. Nous n’envions pas leur place ! Nous nous réfugions au bistrot pour les attendre, inquiets. Heureusement, l’averse sera de courte durée et 45 minutes plus tard les voici qui arrivent. Tout va bien, le feu d’artifice n’est pas parvenu jusqu’à eux !
Et c’est tous ensemble, autour de la table, devant une bonne chope de bière, que nous échafaudons déjà de nouveaux projets dans notre patois espéranto. C’est décidé, demain nous irons dans la voie Priolo à la Cima Cason di Formin, il y paraît-il là bas une traversée mythique…
Texte et photos : Marc Hamiti